Traces
La deuxième guerre mondiale, suivie d’une fratricide et douloureuse guerre civile, a laissé la Grèce dans un état économique désastreux. Ceci a provoqué un très important mouvement migratoire vers les pays qui pouvaient encore offrir, à ce moment, des possibilités de travail, comme les Etats Unis d’Amérique et l’Australie. Ce mouvement migratoire a commencé au début des années 50 et a duré jusqu’au milieu des années 60. Des familles et parfois les habitants des villages entiers sont partis pour aller s’installer à des dizaines de milliers de kilomètres de leur lieu d’origine, en emportant avec eux que le strict minimum nécessaire pour effectuer le voyage. L’éloignement de ces pays d’accueil a eu comme corollaire, pour une grande partie de ces familles, l’abandon définitif de leurs maisons avec tout ce qu’elles contenaient. Ces maisons inhabitées, à moitié ou parfois complètement effondrées, hantent encore aujourd’hui les villages des campagnes et des îles grecques.
Probablement sensibilisé par mon propre expérience de l’émigration et surtout par celle de mes parents, je me suis intéressé ces dernières années à rendre compte de ce mouvement migratoire en photographiant ces maisons abandonnées. Je tente ainsi de faire un travail sur l’usure, la mémoire, l’usure de la mémoire, l’abandon, les traces de vie et la mort.
Sous les toits effondrés, des lambeaux d’une vie abandonnée nous interpellent et nous interrogent. En entrant dans ces lieux, on est submergé par la violence de la destruction due au temps et à l’abandon et en même temps par la quiétude morbide et le silence du vide. Des habits mités pendent dans les armoires éventrées et sur les murs décrépis, des photos jaunies balancent dans des cadres brisés, des ustensiles rouillés sont dispersés dans des tiroirs béants, des objets de valeur dévalorisés, des restes fanés d’une cérémonie de mariage ou de baptême, des souvenirs qui ne rappellent plus rien à personne.
Cependant cette absence est loquace. Les images d’abandon d’aujourd’hui reflètent celles de la vie quotidienne du passé.
Haris Diamantidis - Octobre 2011